Le projet

En mai 2018, j’ai découvert dans la presse qu’une jeune nigériane de 20 ans, Blessing Matthieu, avait été retrouvée morte dans la Durance pour tenter d’échapper à un contrôle de police. Parallèlement, des citoyens et citoyennes qui avaient porté secours à des exilés dans ces montagnes étaient accusés d’aide à l’entrée illégale sur le territoire, et placés en détention provisoire à la prison des Baumettes, à Marseille. C’est de ce drame, et de cette injustice que sont nés Les Engagés… 

Il s’agit d’un film de cinéma, mais j’espère qu’il puisse aussi devenir un outil afin de permettre à chacun de comprendre la complexité de la crise migratoire, et de voir derrière ce qu’on appelle « les migrants », des jeunes garçons et des jeunes filles de quatorze, quinze, seize ans, qui ont été contraints de quitter leur pays et qui n’aspirent désormais qu’à une chose, prendre racine quelque part et pouvoir y construire leur vie. L’accueil des exilés est une question majeure à laquelle les générations futures seront obligées de répondre.

En effet, s’il on en croit le dernier rapport de la Banque Mondiale, 216 millions de personnes pourraient être forcées de quitter leur foyer d’ici à 2050 pour des raisons climatiques. C’est une prédiction à la fois effrayante, mais incroyablement stimulante sur tout ce qu’il y a à imaginer, construire, développer avec ces exilés, et non contre eux. Mais cela réclame au préalable une prise de conscience de ce qui nous attend, et de la manière dont nous accueillons aujourd’hui ces populations. Elle est possible grâce à vous. 

Emilie Frèche

Titulaire d’un DEA de philosophie du droit, Émilie Frèche est une auteure pluridisciplinaire.

Entre 2001 et 2018, elle publie plus d’une dizaine de livres (romans, essais et ouvrages jeunesse).

Elle est l’auteur, entre autres, de DEUX ÉTRANGERS (prix Orange 2013 et prix des lycéens d’Île-de-France 2013).

Émilie Frèche poursuit aussi une carrière de scénariste. En 2014, elle co-signe le film engagé d’Yvan Attal, ILS SONT PARTOUT sorti en juin 2016, une comédie qui dénonce les clichés liés à l’antisémitisme en France. En 2015, elle co-écrit avec Marie-Castille Mention-Schaar (réalisatrice des Héritiers) un drame sur des jeunes filles candidates au djihad, LE CIEL ATTENDRA.

Elle a écrit, avec Gaëlle Macé, LES ENGAGÉS, qui est son premier film en tant que réalisatrice.

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Interview

À la fin du film, vous faites référence aux « 7 de Briançon. ».  Jusqu'à quel point cette histoire vous a-t-elle inspirée ?

J’ai découvert cette histoire dans la presse, en 2018.  Les Identitaires, un groupuscule d’extrême-droite dissous depuis, était venu patrouiller en hélicoptère au col de l’Échelle pour chercher des migrants. Les solidaires avaient choisi de riposter de manière pacifique à cette opération de com’ violente, en organisant une manifestation qui partirait de Clavière, en Italie, et irait jusqu’à Briançon. La police les a laissé passer la frontière, mais arrivées en France, plusieurs personnes ont été arrêtées, et certaines placées en détention provisoire à la prison des Baumettes, à Marseille, au motif qu’il y avait des exilés dans cette marche : ils étaient accusés d’aide à l’entrée illégale sur le territoire, en bande organisée. Ils risquaient 10 ans de prison et 750 000 euros d’amendes. Ils ont tous été relaxés en appel, mais certains, avec la détention provisoire, ont été privés de leur liberté. Et cette privation est scandaleuse, parce qu’au-delà de la décision judiciaire, elle s’apparente à  un moyen de pression politique pour dissuader tous les gens qui voudraient s’engager dans la région. C’est une façon de leur dire « Regardez ce qui va vous arriver, si vous sauvez des étrangers en montagne ! ». Je me suis inspirée de cette histoire, mais aussi du destin tragique de Blessing, jeune nigériane qui s’est noyée dans la Durance pour échapper à un contrôle de police. Elle est morte, elle avait vingt ans. 

Avez-vous enquêté sur le terrain avant de vous lancer dans l’écriture du scénario ? 

Oui. En 2018, quand j’ai découvert cette affaire des « 7 de Briançon », j’ai décidé de m’y rendre. J’ai trouvé une chambre à Montgenèvre, chez l’habitant, et beaucoup discuté avec ma logeuse. Elle m’a tout de suite parlé de la situation, me racontant par exemple comment des gamins arrivaient régulièrement de la montagne et tapaient à sa fenêtre. Elle me disait être obligée de leur ouvrir, ne serait-ce que pour ses enfants à elle -– elle ne pouvait pas ne pas leur apprendre l’hospitalité. Le jour même, cette femme m’a mise en contact avec une personne du Refuge. Elle m’a accompagnée chez elle, près de Montgenèvre. Deux jeunes mineurs isolés étaient là. Ils étaient arrivés la veille à pied d’Italie. Il fallait les descendre au Refuge, à Briançon, mais les plaques d’immatriculation de la bénévole étant repérées par la police, elle m’a demandé si je pouvais les convoyer moi, ce serait plus sûr. Pourtant, nous n’allions pas franchir de frontière. Nous étions déjà en France, les exilés avaient donc normalement le droit de demander l’asile. En théorie oui… Mais en pratique, la police considère que la frontière n’est pas une ligne, mais cette zone de 10 kilomètres sépare l’Italie de Briançon. Dans cette zone, les forces de l’ordre s’octroient donc le droit d’arrêter des exilés, et de les renvoyer de l’autre côté de la frontière en-dehors de toute procédure légale. Le droit français en matière d’asile ne s’applique qu’à partir de Briançon. C’est une entrave grave au droit, car la France a l’obligation de recueillir une demande d’asile partout sur son territoire et de l’examiner. Elle a aussi l’obligation d’accueillir les mineurs en danger. La loi française prévoit en effet une « présomption de minorité », ce qui signifie que le mineur est présumé comme tel jusqu’à ce qu’une décision de justice soit rendue. Or cette présomption, comme on le voit dans le film, n’est pas du tout respectée. 

Ce premier jour dans la région, j’ai pris les deux jeunes exilés dans ma voiture. Sur la route, deux véhicules de gendarmerie m’encadraient. J’ai alors pris conscience que je pouvais me retrouver en garde-à-vue, simplement pour les avoir dans ma voiture. Je leur ai demandé de se cacher, comme dans le film. Nous sommes arrivés à bon port, et ce que j’ai trouvé complètement dingue, c’est que maintenant qu’ils avaient franchi cette zone dangereuse des dix kilomètres, on leur demandait de remplir une fiche « mineur isolé » et ensuite, d’aller au commissariat déposer leur empreinte. Ils pouvaient de leur plein gré aller voir les gendarmes, ils ne risquaient plus rien ! Ce passage obligé au commissariat était nécessaire pour se rendre ensuite au Conseil Départemental de Gap, et être éventuellement reconnu comme mineur par l’Aide Sociale à L’enfance. Beaucoup de ces jeunes mineurs en étaient au quatrième ou au cinquième passage de la frontière à pied. Avec un tel constat, on peut vraiment se poser la question de l’utilité de la militarisation, et de l’argent que cela nous coûte…. Je ne sais pas combien de rapports ont été écrits sur cette situation, mais la France a été condamnée à plusieurs reprises par la CEDH (Cour Européenne des Droits de l’Homme). Et nous en sommes toujours au même point. Des enfants continuent de mourir dans nos montagnes….

Après ce premier séjour, je suis retournée plusieurs fois à Briançon. J’ai passé un peu de temps au Refuge Solidaire. J’ai écouté, regardé les bénévoles agir. J’ai observé les exilés qui arrivaient d’un très long périple. J’y suis retournée aussi avec les acteurs, pour qu’ils s’imprègnent des lieux et de l’atmosphère. J’ai également beaucoup lu sur le sujet, et visionné les passionnants reportages ou documentaires qui avaient été fait sur le sujet.  Et puis j’ai essayé de comprendre la topographie des lieux. Ce territoire. Cette frontière à cheval sur un terrain de golf l’été et sur une piste de ski l’hiver. C’est un endroit fou, où coexistent deux univers diamétralement opposés, qui ne se rencontrent jamais : il y a d’un côté des gens qui viennent passer leurs vacances et profiter de la beauté spectaculaire de la vallée de la Clarée, et de l’autre, des gens qui sont pourchassés et qui la nuit, tombent dans des crevasses, voient leurs extrémités geler au point d’être amputées, et parfois même, d’y trouver la mort. Et puis il y a cette présence policière permanente, partout… Ces voitures de gendarmes, ces hélicoptères, ces contrôles incessants… C’est tout cela que j’ai tenté de rendre compte dans mon film.